Le mouvement individualiste : la preuve par le tri sélectif
Quand j’étais enfant, le tri sélectif n’existait pas. Nous mettions nos ordures à la poubelle, les éboueurs prenaient les poubelles et les vidaient dans leur camion, et amenaient les ordures dans une décharge.
Puis on nous a demandé de trier certaines choses. Depuis très longtemps déjà, des associations récupéraient le papier et les vêtements. L’une des plus connues est « Emmaüs », fondée par l’Abbé Pierre, active depuis les années 1950.
On a vu de gros conteneurs verts en ville, afin de recycler les bouteilles. Cela faisait suite à la fin du système de consigne dans les années 1980.
Dans les années 1980, on a pris conscience de la pollution induite par les activités humaines et la découverte du trou dans la couche d’ozone. À partir de là, on a interdit les CFC (chlorofluorocarbures) et remplacé les gaz propulseurs (déodorants, insecticides…) puis celui des climatisations et des systèmes frigorifiques (fréon remplacé par un autre gaz).
Enfin il a fallu commencer à trier soi-même : depuis les années 1990 et jusqu’à 2010, les grandes villes, puis les villes de taille moyenne et enfin les villages se sont équipés de poubelles de différentes couleurs, selon les déchets qu’elles sont censées contenir.
À tel point qu’aujourd’hui on a des contrôles qui sont faits : si on ne remplit pas la poubelle jaune, on va trouver ça suspect et on devient passible d’une contravention !
Abrégeons, en citant pêle-mêle le compostage, le tri des aliments (Paris XV°), et le fait que les règles de tri changent, que les couleurs des poubelles sont différentes d’une commune à l’autre, et autres billevesées. L’expression « tri sélectif » elle-même est subversive et pléonastique.
Tout cela pour dire que le tri sélectif, puisqu’il est convenu d’appeler ainsi ce comportement, nous oblige à prendre du temps pour le faire (et donc perdre du temps pour nos propres activités), et nous fait polluer l’air (puisque l’on doit amener nos déchets à la déchetterie). Rien que ça !
Surtout, cela participe d’un mouvement bien plus vaste, puisqu’à travers cet exemple, on constate que, de plus en plus, l’État se désengage et s’en remet aux bonnes consciences du peuple. Si cela continue, on va revenir au Moyen-Âge ou du moins à un système autarcique : petit à petit on nous demande de tout faire nous-même. Si cela continue, on va nous demander de produire nous-mêmes nos légumes, sous couvert d’écologie !
J’en veux pour preuve que, dans le même temps où le tri sélectif s’est mis en place, plusieurs métiers ont disparu, alors que l’individu remplace, par la force des choses, le travailleur. C’est le règne du « Do it yourself », dans lequel tout le monde fait tout.
Par exemple, les guichets des péages autoroutiers ont été automatisés, et aujourd’hui, c’est nous qui tendons notre carte de paiement vers la machine. Idem pour les pompes à essence, où le pompiste a disparu, et où le conducteur va lui-même faire son plein. Idem dans les supermarchés, dans lesquels les caisses automatiques rencontrent de plus en plus de succès et par lesquelles la majorité des consommateurs sont attirés. Car il y a un avantage à cela, il faut bien le reconnaître : ça va aussi vite, voire plus vite qu’avec un être humain.
Au-delà du problème des pertes d’emploi et du chômage (qu’on dissimule en arguant que ces machines devront être produites, maintenues et remplacées), il y a, en allant plus loin, le problème de l’individualisation.
Moins de contact entre individus, autarcie grandissante, voire autonomie. Même la production d’électricité, jusqu’ici apanage étatique, participe de ce mouvement lorsqu’on propose des panneaux photovoltaïques pour produire soi-même sa propre électricité.
Finalement, à l’heure des réseaux sociaux, des applis de rencontre, des élans de solidarité et de la communication grandissante, on va vers en réalité vers une individualisation grandissante.